Épisode 2 – la cape d’invisibilité

François et la cape d’invisibilité

François, 55 ans, ex DAF croyait vivre une parenthèse.
Un temps pour rebondir, réfléchir, reprendre son souffle.

Il pensait avoir de l’or entre les mains.
Le marché, lui, n’est pas au courant….

Mais à mesure que les jours passent, une vérité s’impose :
il va falloir s’ouvrir à d’autres modalités de travail.
Pas par goût. Par nécessité.

Le plan d’action (ou ce qu’il en reste)

La semaine suivante, j’ai activé ce qu’on appelle “le plan d’action”.
Pas une stratégie digne d’un cabinet de conseil.
Plutôt un patchwork de bons réflexes, d’injonctions LinkedIn, et de fiches RH intitulées “rebond” ou “reconversion”.

J’ai coché toutes les cases. Suivi tous les conseils, même les plus indigents.
Surtout ceux qui commencent par :“Il faut positiver la transition.”

Alors j’ai :

• “Activé mon réseau”, c’est-à-dire écrit à des gens que je n’avais pas vus depuis dix ans (et avec qui je n’avais jamais déjeuné).
• “Pris mon avenir en main”, autrement dit : créé un tableau Excel coloré que je regarde tous les matins sans oser le modifier.
• Ouvert douze comptes sur des plateformes où l’on vend son expertise « à la découpe ».

Inscriptions tous azimuts

Plateformes généralistes, spécialisées, cabinets de management de transition, réseaux “premium” pour cadres autonomes à forte valeur ajoutée…

À la fin, je ne sais plus si je cherche une mission ou si je participe à un concours d’optimisme.

Chaque inscription me prend entre 20 et 40 minutes.
Toujours le même parcours :

• Slogan en page d’accueil : “Votre avenir commence ici”
• Formulaire interminable
• Bio de 300 caractères (l’équivalent professionnel d’un haïku sous pression)
• CV au format “moderne”
• Une photo “engageante mais pro”
• Et la fameuse question : “Quel est votre super-pouvoir professionnel ?”

J’enchaîne les champs. Je reformule. Je me réinvente.
>Je fais tenir 30 ans de carrière en 4 Bullet points dynamiques.

Et puis vient ce grand  moment de solitude : la case “Titre du profil”.

J’ai d’abord mis “DAF indépendant”…
Puis “Accompagnateur stratégique”…
Puis j’ai tout effacé et écrit : “DAF externalisé |accompagnateur stratégique | fractionnal CFO”.

Ma fille, 22 ans, lit par-dessus mon épaule. Elle dit :

“Papa, tu dois travailler ton positionnement.”

Je lui réponds :

“Je travaille surtout ma tolérance au vide numérique.”

Zéro retour, cent doutes

Les jours passent.
Pas un appel. Pas un message.

Juste quelques mails automatiques, froids et polis :
“Merci, votre profil a bien été enregistré.”
Parfois une variante :
“Nous vous contacterons si une opportunité se présente.”
Jamais de point d’exclamation.

Un jour, un message vocal. Enfin.
Une voix neutre annonce :

“On garde votre candidature au chaud pour toute mission urgente.”

Je visualise ma fiche imprimée, glissée dans un classeur beige, entre un manager supply chain et un coach Agile, dans une rubrique officieuse appelée :
“À relire peut-être, mais pas tout de suite.”

L’effet senior

Je n’ai pas mis mon âge.
Mais j’ai écrit : “Plus de 30 ans d’expérience”.

Ce qui revient à dire, dans le langage non verbal des recruteurs d’aujourd’hui :“Je ne vous coûterai pas rien. Et j’ai une fâcheuse tendance à vouloir comprendre ce que je fais.”

Pas exactement le profil rêvé pour un job ou une mission “rapide, flexible et sans friction”.

Bref : je ne fais pas jeune.
Je ne fais pas agile.
Je ne fais pas scalable.

Le syndrome de l’expert invisible

Avant, j’étais DAF.
J’avais un bureau, un budget, je faisais partie du Codir

Aujourd’hui, j’ai un profil LinkedIn noyé parmi des milliers d’autres,
et un CV que je tente de condenser en une page sans trahir trente ans d’expérience

Je passe mes journées à réécrire des versions de moi-même.

J’ai passé trois heures à choisir une photo “moderne mais sérieuse”.
Je change les titres, les mots-clés, les adjectifs.
J’épure. Je simplifie. Je modernise.

J’ai supprimé le mot “stratégique”, trop pompeux.
Puis je l’ai remis, parce que sans lui, ça sonnait vide.

Et au fond, la question me rattrape :

Est-ce que je suis trop senior ?
Trop classique ?
Trop… François ?

Avant de fermer l’ordinateur, je tombe sur ce nouveau bandeau bleu qui circule sur LinkedIn :🔵 Je m’engage pour l’emploi des 50 ans et +

Il paraît que c’est pour encourager les recruteurs à nous donner notre chance.
Je le regarde. Je me dis que c’est trés bien. Que ça bouge.

Mais pour le moment  dans ma boîte de réception, rien n’a changé.
Toujours aussi peu de missions. Et toujours autant de silence.

“Avant, j’étais un super-héros. Maintenant, j’ai une cape d’invisibilité professionnelle.”

Je referme l’onglet.
Et je relis mon post-it, collé à l’écran :

“Continue. Tu es peut-être  invisible pour l’instant.
Mais surement pas  inutile.”

🧠 Fiche pratique #2 : S’organiser sans devenir fou – outils et réflexes utiles

Quand j’ai commencé à m’inscrire partout, j’ai vite compris une chose :
ce n’est pas l’action qui fatigue, c’est la désorganisation.

Voici ce que j’aurais aimé savoir avant d’ouvrir 12 comptes et d’oublier à qui j’avais envoyé quoi.

📌 1. Un tableau de suivi (votre meilleur allié)

Un simple fichier Excel ou Google Sheets :

• Plateforme ou contact
• Date d’inscription ou de relance
• Version du CV envoyée
• Statut (envoyé / relancé / sans réponse / mort)
• Commentaire libre (bug, retour, absence d’âme humaine)

📌 2. Préparer ses “kits de base”

• Bio courte (300 caractères)
• Mini-pitch (3 à 5 lignes)
• Plusieurs CV adaptés
• Photo pro
• Liste de mots-clés “métier”

📦 Rangez tout dans un dossier cloud (Google Drive, Dropbox…) pour éviter de tout refaire à chaque inscription.

📌 3. Un outil de notes

Notion, OneNote, Evernote… pour noter vos actions, garder des liens utiles, stocker les annonces vues ou les messages reçus.

📌 4. Un gestionnaire de mots de passe

Douze plateformes, douze identifiants… et une mémoire qui fait ce qu’elle peut.
➡️ Bitwarden, 1Password, ou celui intégré à votre navigateur, si vous êtes d’humeur joueuse.

📌 5. Une routine raisonnable

• 1h max par jour sur les plateformes
• Mise à jour hebdo du tableau
• Pas plus de 3 candidatures “personnalisées” par jour

💡 Conseil de vieux loup :
Si vous vous surprenez à envoyer sans relire, c’est que la journée est finie.

📌 À suivre…

Prochain épisode : François décroche un premier rendez-vous.
Un client jeune, dynamique, agile,
qui va lui faire comprendre que le plus dur, ce n’est pas d’envoyer son CV.
C’est de survivre au premier entretien.

📚 Vous avez manqué le début ?

➡️ Relisez l’épisode 1 :
🟠 François, 55 ans, ex-DAF : de cash-flow à capharnaüm ?