De cash-flow à capharnaüm : les tribulation de François
Avant tout s’enchainait
Réunions. Budgets. Reporting. Comités de direction.
François ne s’est jamais posé trop de questions. Il a dirigé. Piloté. Tranché.
Vingt-trois ans au même poste. Ce n’est pas qu’il s’y accrochait. C’est juste que tout roulait.
Un mardi, une réunion. Pas comme les autres.
Jusqu’au jour où on lui a proposé… “un nouveau départ.”
C’était un mardi. Une réunion banale, cadrée, polie.
Un de ces entretiens qu’il avait lui-même menés, quelques années plus tôt.
Sauf que cette fois, c’était pour lui.
“François, on pense à un nouveau chapitre. Pour toi. Et pour l’entreprise.”
Rupture conventionnelle, plan d’accompagnement, discours de remerciement.
Un départ dans les règles de l’art. Presque flatteur. Presque.
Les encouragements… et les illusions
Dans l’entreprise, autour de moi, personne n’était vraiment inquiet. Un collègue m’a dit en riant : “Tu vas voir, tu vas crouler sous les offres, t’auras même pas le temps de finir ton café !”. Un client historique m’a pris les deux mains et m’a regardé droit dans les yeux : “François, des gens comme toi, c’est rare. Tu ne resteras pas sur le carreau, crois-moi.” Ces mots m’ont touché. Sur le moment, j’y ai presque cru.
Collègues, partenaires, anciens clients — tout mon écosystème semblait convaincu que la suite s’écrirait toute seule.
“Oh François, avec ton expérience, tu vas rebondir les doigts dans le nez.”
“Tu vas te faire chasser en une semaine !”
“Des profils comme le tien sont hyper recherchés.”
“Tu vas voir, tu vas kiffer la liberté.”
“Et puis, on reste en contact, de toute façon.”
C’était dit avec bienveillance.
Mais aussi avec cette assurance un peu facile qu’ont les gens qui, eux, ont encore un bureau, un badge, et une direction à rejoindre lundi.
Le départ, en silence
Moi, je souriais.
Je hochais la tête.
Je me disais que peut-être, oui, ils avaient raison.
J’ai serré des mains, reçu un bouquin, un chèque cadeau, un stylo de luxe, et quelques mots polis.
Le discours était terminé, les sourires échangés, les cartons remplis. L’étage s’est vidé peu à peu. Je suis resté un instant, seul, à regarder mon bureau. Puis je suis parti.
Le badge, le vide
Vendredi, 17h07.François dépose son badge dans une enveloppe, sur le bureau de la DRH.
17h08 : il quitte le bâtiment.
17h09 : il est libre.
17h11 : il réalise qu’il ne signera plus ses mails “François – Directeur Administratif et Financier”.
Et il se demande, simplement :
Maintenant, Qui suis-je ?
Lundi matin – 6h45
Le réveil sonne mais cette fois, pas besoin de se presser. Il n’y aura pas de réunion à 8h30, pas de point cash, pas de mail urgent en copie du COMEX.
Il réalise une chose :
Personne ne l’attend, nulle part.
Le grand vide, ce n’est pas le silence. C’est l’absence de rendez-vous.
Ce matin il est en peignoir. Devant son ordinateur.
Il ouvre son navigateur, hésite, puis finit par taper quelque chose comme :
“poste DAF senior CDI” ou “offre emploi direction financière +50 ans”.
Les résultats sont nombreux — trop.
Des vidéos de coachs, des articles sur “oser le rebond”, des plateformes freelances, des sites d’emploi, des conseils RH… et un champ de mines administratif.
Alors il commence par ce qui semble le plus évident : jeter un œil aux offres. Bonne nouvelle, il y en a — des CDI, des postes de remplacement. Lecture, survol, tentative de projection… mais rien d’évident.
Très vite, il se rend compte qu’il ne peut pas postuler. Son CV date de Mathusalem. Trois pages sur fond blanc, aucune rubrique “soft skills”. Il parle de croissance externe, de LBO, de SAP R/3. Aujourd’hui, on lui parle de design, de storytelling, d’impact en 7 secondes.
Il soupire. Ouvre PowerPoint. Referme PowerPoint. On lui a parlé de Canva, il faudra qu’il y jette un œil.
Il sent que chercher un job va devenir pour quelque temps son job à temps plein. Et ça, il l’avait un peu oublié.
La journée passe. Aucune réunion, aucun appel, aucun mail urgent. Il note sur un post-it :
« Demain : attaquer sérieusement le CV. »
Il ne sait plus comment se raconter autrement qu’en bullet points de bilan.
Linkedin ou le grand décalage
Il rouvre son profil. Franchement, cela faisait des lustres qu’il n’était pas venu sur LinkedIn. Expérience trop longue, trop sérieuse.
Il hésite :
Est-ce qu’il faut arborer le fameux bandeau vert “OpenToWork” ?
Ou bien rester discret, au cas où un recruteur passerait “naturellement” ?
Il hésite encore à poster quoi que soit
Il referme l’onglet. Il n’est pas prêt. Pas encore.
Il se dit qu’il verra ça plus tard, après avoir attaqué son CV pour de bon.
Il commence à se demander si le salariat est encore dans son cas une voie réaliste. Et si ce n’est pas le cas… vers quoi se tourner ? Se mettre à son compte ? Créer sa boite ?
Le soir tombe. Journée sans appel, sans rendez-vous à part une notification « France Travail »
C’est le calme plat. Et c’est bruyant. Ce vide dans l’agenda, qu’il voyait avant comme un luxe, lui semble presque vertigineux. Il va falloir sortir de sa zone de confort, rencontrer du monde.
Il a le sentiment de n’avoir rien fait mais toutes ces nouvelles réflexions l’ont épuisé.
Et s’il fallait s’y prendre autrement ?
Les jours et les semaines passent. François observe, lit des témoignages de reconversions, écoute des podcasts de cadres devenus consultants ou “slasheurs”. Il participe à des réunions de cadres en reconversion, parfois intéressantes, parfois moins
Il ne sait pas encore ce qu’il cherche, mais voit bien ce qu’il ne veut plus : se battre pour un poste où il devra prouver qu’il n’est pas « trop vieux » à 55 ans.
Alors, il regarde ailleurs. Les statuts hybrides, des modèles souples, des missions ponctuelles.
Et peu à peu, une idée s’installe. Pas exaltante. Juste… plausible.
Freelance ? Il n’en a jamais rêvé. Mais peut-être que c’est là, maintenant, une piste à creuser.
>Il ne fait pas de surf à Lisbonne.
>Il ne poste pas ses petits-déjeuners.
>Il n’a jamais dit “personal branding” sans rougir.
Mais il sait faire parler les chiffres, redresser un budget, piloter une entreprise dans le brouillard.
Et il se trouve que parfois, ce genre de compétence, ça se vend à la mission.
Alors il a commencé à se documenter.
Pas par rêve. Par nécessité.
Et pourtant..
Quelque chose résiste.
Pas la rage. Pas l’ambition. Un truc plus souterrain. Une fierté discrète.
Je n’ai pas choisi ce virage.
Mais je vais apprendre à le négocier.
Je suis François.
55 ans, en recherche d’emploi. Je ne sais pas encore si je suis freelance, consultant ou, comme on dit pudiquement, « en transition ».
Mais je suis là. Lucide. En mouvement. Et très curieux, quand même.
Et comme je commence à m’y perdre entre tous les acronymes et les sigles de ce nouveau monde, j’ai fait une petite fiche. Rien de très glamour. Mais utile. Je vous la partage :
🧠 Fiche pratique : 5 acronymes à connaître
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ARE – Aide au Retour à l’Emploi : vos droits au chômage, versés mensuellement.
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ARCE – Aide à la Reprise ou à la Création d’Entreprise : le chômage en capital, versé en deux temps.
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URSSAF – L’organisme qui collecte les cotisations sociales. Le mot préféré de (presque) aucun indépendant.
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TJM – Taux Journalier Moyen : le tarif que vous appliquez par jour de mission.
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SASU – Société par Actions Simplifiée Unipersonnelle : une forme juridique pour les indépendants ambitieux… et organisé
🔜 A suivre
Dans l’épisode 2 (disponible lundi prochain) , François s’inscrit partout : jobboards, plateformes, cabinets de management de transition.
Et découvre que dans ce monde, avant de convaincre, il faut déjà exister.
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